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Trouble alimentaire et TCA – réaction à l’article du Monde

Réaction par rapport à l’article du Monde, écrit par Eric Nunès, édité le 17/01/19: « J’ai voulu montrer qu’on peut sortir de l’anorexie » : quand Instagram aide à soigner les troubles alimentaires

https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/01/17/des-etudiantes-soignent-leurs-troubles-alimentaires-grace-a-instagram_5410657_4401467.html

 

Une personne souffrant d’un trouble alimentaire a eu la bonne idée de nous partager cet article pour que nous réagissions. Merci! Revenons sur l’article présentant les réseaux sociaux comme moyen de guérison pour un trouble du comportement alimentaire.

 

  • Points positifs de l’article: Un réseau donnant motivation et soutien

Dans l’article, le réseau social est présenté comme un bon levier de motivation. La personne rend des comptes à une communauté et des réussites sont valorisées par le groupe. Elle entre alors dans un cercle vertueux: elle agit plus, le poste, reçoit plus de valorisation ce qui lui permet d’avancer dans son parcours de guérison.

Si la motivation est une ressource nécessaire pour se sortir du trouble, elle est toutefois mise à mal par l’ambivalence. En effet l’anor mind* est constitutif du trouble du comportement alimentaire et est souvent décrit par les patients comme une “petite voix” qui dicte les conduites pathologiques et freine les avancées. Dans ce cadre, un levier de motivation est bon à prendre et si le réseau social y contribue pour certain pourquoi ne pas l’intégrer dans leur chemin de guérison?

Le soutien d’une communauté est en effet un appuis nécessaire. Le groupe permet d’être reconnu, entendu et compris dans sa souffrance. C’est pourquoi, dans de nombreuses structures de soins, des groupes de paroles sont proposés. Ceux-ci sont accompagnés d’un soignant généralement un(e) psychologue. Cet accompagnement par un professionnel de santé permet de garder les objectifs du groupe: laisser une place d’expression à ceux qui le souhaitent, permettre une écoute des parcours diverses, un partage des « pratiques utiles et aidantes », faciliter la rencontre avec l’autre et la sortie des mécanismes enfermants des troubles alimentaires… On peut alors se questionner sur la différence entre l’échange en ligne à travers les réseaux sociaux et la rencontre en « réel ».

Un point qui semble positif est la disponibilité constante de ces groupes. Elle fait penser au système de parrain chez les personnes souffrant d’addictions dans lequel on retrouve ce pair aidant disponible. Notons cependant que dans ce système, pour devenir parrain, il faut être stabilisé, c’est à dire être en rémission par rapport au trouble. Or, dans le réseau social comment savoir où en est l’autre?

 

  • Points négatifs :

 

  • attention aux groupes néfastes.

En fin d’article il est mentionné les risques d’orthorexie que peut apporter ces réseaux. Et en effet, le réseau peut inciter à aller vers une autre forme de contrôle alimentaire et enfermer dans un autre trouble. Ceci témoigne de l’importance de la dynamique de groupe qui est très fragile. En effet, sans guidance par un professionnel le groupe peut s’éloigner de ses objectifs. Attention également à la validité des conseils nutritionnels qui ne sont pas donnés par un professionnel tel un diététicien-nutritionniste ou un médecin nutritionniste. Ces conseils doivent être individualisés selon la personne et son évolution dans la maladie.

Rappelons par ailleurs que les réseaux sociaux ont aussi donné lieu à des challenges d’amaigrissement: des photos de clavicules saillantes, des corps dénutris valorisés… Il existe des groupes de réseaux sociaux où l’anor mind a le contrôle et valorise l’amaigrissement. Les images et injonctions de ces groupes renforcent la culpabilité de ne pas réussir à se restreindre suffisamment, renforçant l’anor mind et l’ambivalence.

  • une minimisation du trouble.

Dans cet article les troubles du comportement alimentaire ne sont décrits que par l’aspect nutritionnel et sportif. Ce ne sont qu’une partie des symptômes. Ce trouble est une altération globale. Il porte une atteinte à soi, son identité, ses valeurs, son fonctionnement, son rapport au monde, aux autres… Le trouble a un impact sur l’expression des émotions, le rapport aux corps, son image, aux sensations. Il a un impact sur la sphère sociale: les rapports ont en effet changé depuis le trouble. Certains ont besoin de comprendre d’où vient ce trouble, de comprendre ses propres mécanismes de défense et d’expression d’un mal-être.

  • L’absence d’information médicale.

Son rebond, la jeune sportive le doit partiellement à son compte « Insta »”.

C’est le seul moment où on pourrait distinguer une trajectoire de soin. C’est vraiment dommage que ça ne soit pas mentionné clairement. Un article qui traite d’un trouble aussi grave devrait inclure un message d’information médicale: la trajectoire de soin est une composante importante de la guérison. Mais la grande difficulté actuelle est de trouver des structures de soin accessibles, spécialisées, partout en France. Dans ce sens, les réseaux sociaux tentent peut-être de pallier ce vide.

Le soin est la rencontre entre un patient, expert de son trouble, de son vécu, et un soignant, expert dans la clinique et d’une approche thérapeutique. Ces professionnels de santé ont étudié ce trouble, connaissent les écueils, des facteurs de rechutes, des leviers de motivation. La trajectoire qui mène à la guérison est pluridisciplinaire: corporelle, diététique et psychologique.

  • En conclusion

Rejoindre une communauté est d’une grande aide pour guérir du trouble. Il est indispensable d’y intégrer un travail psychologique, diététique et corporel. S’apercevoir que d’autres souffrent permet d’aider à sortir de l’isolement ou de la honte. Chaque parcours dans la maladie est personnel et demande une approche sur mesure. Cet article amène donc un outil qui doit être utilisé avec vigilance, mais qui ne peut malheureusement pas se substituer à un suivi pluridisciplinaire, au risque de favoriser la chronicisation du trouble ou même l’errance thérapeutique.

 

*l’anor mind? Mental anorexique en français: Nous avons écrit un article dessus. Vous pouvez le voir sur https://association-lanotebleue.fr/mental-anorexique/

 

Je joins la réaction de Sophie qui est suivi pour son trouble et qui nous a proposé une réaction sur l’article :

« Regard croisé

Un certain regard sur cet article paru dans le monde dont l’absence de mise en perspective a soulevé en moi des réactions que je souhaite partager :

Le premier sentiment qui m’a traversé est le désabusement, puis dans un second temps, des sentiments de crainte et d’interrogation….

Désabusement de voir une nouvelle fois les TCA cantonnés à leur plus simple expression «manger» dans la négation totale de la complexité de ces troubles…En effet, l’article laisse à penser que le simple partage de photos nous permettrait, à nous qui souffrons de ces troubles, de nous en libérer et de guérir….

Désabusement et déception de voir présenter Instagram et ses  « instagramers »   comme un supplétif aux praticiens : psychiatres, psychologues, psychomotriciens, nutritionnistes, médecins … alors que le parcours de soin est pour beaucoup d’entre nous un vrai parcours du combattant

Quelles conséquences alors qu’en France le manque de formation, le manque de structures d’accompagnement et la quasi absence de prise en charge des TCA sont criants!? Et d’autant plus alors que s’engage une réflexion sur la problématique de la prise en charge psychiatrique.

Interrogations à la lecture de ses témoignages « d’anorexiques guéries » de leurs troubles. Au-delà du fait que je me demande ce qui fonde ce diagnostic car après tout c’est quoi guérir d’un TCA. N’y aurait-t-il pas autant de formes de guérisons qu’il a de personnes atteintes de ces troubles ? Est-on vraiment guéri alors que l’on ressent le besoin de prendre en photos ses repas, se prendre en photos dans une pratique sportive intense, exercer un contrôle de son image dans une esthétique maîtrisée de son image ? Ne peut-on voir au travers de ces témoignages à priori libérés les signes de la maladie dans son expression la plus pernicieuse? Aussi, ces témoignages ne sont-ils pas l’expression du déni de la maladie ? Si tel était le cas, le risque ne serait-il pas de fédérer une communauté autour de ces troubles ? 

Pour conclure, même si je suis convaincue qu’il y a autant de chemins de guérison qu’il y a de personnes atteintes de troubles TCA, je ne connais que trop bien leurs revers… C’est pour ces raisons que je ne peux qu’encourager chacun(e) à s’entourer de praticiens spécialisés et surtout à rester convaincu(e) que l’on peut guérir !”

Elisa Bessellere, Psychomotricienne

Dalida et l’anorexie mentale…

« Quand elle était petite, elle était différente. Le regard des autres sur elle a toujours été important. Dalida n’est pas n’importe quelle femme » (extrait de la bande-annonce du film Dalida).

Il y a quelques jours, je suis allée voir le film Dalida au cinéma, et j’ai été submergée par l’émotion durant quasiment toute la projection. Au début, je me disais « tiens c’est bizarre, elle a des comportements d’anorexiques… », et puis j’ai laissé ce commentaire dans un coin de ma tête pour profiter du film. Cependant, plus ça allait, plus je voyais Dalida, dont je ne connaissais pas la vie, comme une anorexique, c’était flagrant. Je la comprenais à 100% dans sa recherche de l’Amour, dans sa quête du bonheur, dans sa relation avec les autres, dans sa dévotion, et dans sa passion. Vint le moment où Dalida se fait vomir à plusieurs répétitions, et là c’était clair pour moi : elle était bel et bien atteinte d’anorexie mentale. A un moment, on voit bien Dalida amaigrit, refusant de s’alimenter, fatiguée et lasse. Plus le film passait, plus j’étais transpercée par cette découverte, et plus je ressentais de la compassion pour cette belle personne. Le tout ponctué d’un très beau jeu d’actrice et de musiques toutes plus émouvantes les unes que les autres. J’ai pleuré plusieurs fois pendant le film et surtout après, en sortant de la salle où j’ai déversé un torrent de larmes ! J’avais l’impression de connaître la vie de Dalida bien plus que tous les autres spectateurs qui venaient de visionner le film, j’avais envie de dire à tout le monde « ne vous rendez-vous pas compte quelle était anorexique ? ».

Plusieurs éléments m’ont mis la puce à l’oreille. Tout d’abord, l’enfance de Dalida, avec plusieurs traumatismes sociaux (humiliations à l’école, rejet de ses camarades, mauvaise intégration), et familiaux (arrestation de son père dont on l’a privée, père violent envers la maman, etc.). Dalida, qui n’avait déjà pas confiance en elle et qui avait peur du regard des autres, a ainsi reçu une image choquante de la relation Homme-Femme au sens large. Elle n’a pas reçu tout l’amour de son père dont elle avait besoin et elle s’est retrouvée confronté à des « problèmes de couple » graves déformant ainsi sa vision de la vie amoureuse.

J’ai surtout beaucoup ressenti le manque d’amour et la solitude dont Dalida souffre. Elle excelle dans son domaine, elle a « tout » pour elle, elle est idolâtrée, elle est belle, et elle est intelligente. Tout pour être heureuse, me direz-vous. Malgré cela, on perçoit tout de suite l’immense vide intérieur auquel elle est confrontée. Oui, Dalida excelle, oui Dalida a d’immenses qualités professionnelles et personnelles, mais Dalida aspire à autre chose. Quelque chose de plus grand, de plus profond, de plus « léger », et de plus humain. Je perçois là une recherche de spiritualité, une quête de sens, une volonté de se « verticaliser » pour aller chercher des réponses à ses questions. C’est aussi pour moi, une opposition entre la Terre, ce « bas monde » dans lequel une partie d’elle est reconnue, et à l’inverse, le haut, le divin, l’Eternel, l’Absolu dans lequel elle aimerait se révéler. On pourrait y voir là, l’ambivalence bien connue des anorexiques. Les deux personnalités qui ont du mal à s’accepter, à vivre en harmonie. Dans l’esprit de l’anorexique, il n’y a de la place que pour une seule personne, ainsi l’une des deux combat l’autre. Dans le film, c’est l’opposition entre Dalida la chanteuse talentueuse, « parfaite » dont on parle, et Yolanda la femme, humaine, sensible, qui n’a pas confiance en elle, qui se cache et qui est évincée du devant de la scène.

Le rapport à la féminité est également bien mis en avant avec le grand désir de Dalida de faire des enfants et son immense amour pour eux. Le fait qu’elle ne puisse pas en avoir est un élément supplémentaire qui a aggravé son anorexie mentale. Car dans ce monde superficiel et plein de paillettes, en quoi la vie vaut-elle la peine d’être vécue si on ne peut pas la donner ? Si on ne peut pas la partager ?

D’autres signes très évocateurs étaient présents comme son hyperactivité et son contrôle. Dalida n’arrêtait pas, enchainait les tournées, les plateaux de télévision, les voyages dans le monde ; elle s’est même mise à danser sur scène pour suivre la mode de l’époque et devait ainsi répéter sans cesse. De plus en plus marquée par les éléments tragiques de sa vie, on assiste à un enfermement de Dalida. Elle s’enfermait dans son métier pour ne pas penser au reste, c’était sa coquille, sa carapace, afin de se sentir protégée de l’extérieur, de ses éventuelles agressions.

J’ai été plus que surprise en voyant se film, car j’ai ressenti une connexion très forte entre le personnage de Dalida et moi qui ai également connu l’anorexie mentale. C’est comme si j’avais pu lire en elle son mal-être, comme si je le comprenais. J’avais l’impression que son entourage proche ne la voyait que comme une femme fragile et vulnérable qu’il fallait prendre avec des pincettes, mais j’ai surtout vu en elle sa force intérieur, son envie de donner du sens, son envie de partager sa vie (avec un homme, avec un enfant, avec son public, avec le monde extérieur), et son envie d’exister.

Dalida n’était pas folle ni malade au sens médical du terme, elle était « malade d’amour » comme elle le chante si bien dans « Je suis malade ». Cette chanson est une déclaration d’amour très puissante. Elle a tellement d’amour a donner, qu’elle en souffre, et c’est ce que j’appelle la passion. Comme toutes les anorexiques, c’était une personne aimant « à la folie », qui croyait du plus profond de son âme en l’Amour mais qui n’a pas réussi à trouver sa place dans un monde qui pourtant l’acceptait tout entière. Mes larmes ont largement coulé lors de l’interprétation de cette chanson parce que j’ai trouvé magnifique le fait de pouvoir chanter haut et fort, debout devant le monde entier, cet immense besoin d’amour. Elle assume le fait d’être complètement perdue, et ceci est pour moi une demande à l’aide, très explicite. A bon entendeur…

La réalisatrice du film a prononcé ces mots sur le plateau de Michel Drucker : (Dalida était) « une femme à la recherche du bonheur, tournée vers l’extérieur. Elle s’est oubliée, elle a cherché l’amour à l’extérieur ». Après avoir fait des recherches sur Dalida, je n’ai pas trouvé de mention qui parle d’une éventuelle anorexie mentale, mais cette phrase n’a fait que renforcer mon sentiment par rapport à la chanteuse.

Ceci est pour moi le début de la compréhension de notre chère anorexie.

Et-vous, qu’en avez-vous pensé ?

Emmanuelle

Le Poids? Sans commentaire!

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L’organisme québécois EquiLibre organise pour la 5ème année consécutive, à l’instar des américains depuis 2008 (Fat Talk Free®Week), la semaine : Le Poids? Sans commentaire!

Il s’agit de sensibiliser la population à l’omniprésence et aux conséquences néfastes des commentaires sur le poids. Belle initiative que nous tentons de relayer depuis 4 ans.

Sur la page de leur site vous pourrez y trouver des témoignages, des outils de réflexion et pédagogiques, le résultats d’un sondage. N’hésitez pas y jeter un œil et à partager.

De votre côté, observez! Écoutez, rendez vous compte, si ce n’est pas déjà fait, à quel point le poids et la forme corporelle sont des sujets de conversation récurrent. Et surtout testez vous! Essayez, pendant une semaine de ne pas en parler (ni de vous, ni des autres). Remarquez à quel point le sujet peut être évité, et à quel point il est agréable et parfois libérateur, de parler d’autre chose!

J’irais peut être même plus loin! Passons une semaine sans parler de poids ou de forme corporel, ni de nourriture! Faites que ces 2 sujets de conversation disparaisse pendant une semaine. Ou découvrez la difficulté éventuelle pour vous de ne pas parler de cela…

Bonne semaine libre à vous et surtout partagez!!!

Aude Réhault

World Eating Disorders Action Day

Aujourd’hui est un grand jour! C’est la 1ère journée mondiale consacrées aux Troubles du Comportement Alimentaire. Ce sont nos amis nords-américains qui ont lancé cette initiative afin de développer les connaissances sur ces troubles ainsi que leur traitement. Cette journée de mobilisation donne un grand espoir pour la suite, afin que les personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire puissent être mieux soutenues, comprises et accompagnées dans le soin, sans oublier leurs proches. N’hésitez pas à partager afin de participer à une meilleure compréhension par le public!

Afficher l'image d'origineWorld Eating Disorders Action Day

 

 

 

Petite vidéo de l’équipe de La Note Bleue : LNB_WEDAD_H264

Et pour la petite histoire, Keanu Reeves et toute l’équipe du film (actuellement en post production) « To the Bone », se sont aussi mobilisées pour cette journée. On attend la sortie du film !

 

My Skinny Sister : la voix de la culpabilité

My Skinny SIster - Sanna Lenken

« Je me suis rendue compte en en parlant qu’il était important de partager votre point de vue »

Voilà ce que m’a répondu Aude Réhault après que je lui ai envoyé mes retours suite au visionnage de « My Skinny Sister ». Lui ayant exprimé l’intention d’aller voir le film, elle m’avait encouragé à rédiger un billet pour le site. Plus qu’une simple critique, j’ose donc aujourd’hui vous présenter mon témoignage et mes réflexions.

 

 

 

En préambule, je souhaiterai me présenter :

J’ai 27 ans. Je souffre de Troubles du Comportement Alimentaire depuis l’âge de 16 ans environ. Anorexie restrictive dans un premier temps, dont j’ai pris conscience vers l’âge de 19 ans après un burn-out. J’ai cru en être guérie suite à un traitement anti-dépressif puis de grands changements dans ma vie (réorientation et déménagement). Je sentais que ma relation à la nourriture n’était pas tout à fait apaisée, mais je faisais confiance à l’expérience et j’espérais qu’avec le temps je finirai par trouver de nouveaux repères par moi-même. Mais sans suivi et vivant seule, ces repères n’étaient pas bien solides et restaient très intellectuels. Les crises sont alors apparues. Puis la découverte du vomissement.

En 2012 (j’avais alors 23-24 ans), j’avais mis le doigt dans l’engrenage infernal : crises avec vomissements / restriction / crises avec vomissements. Réalisant que je m’enfonçais dans un système mortifère dont je ne voyais plus les possibilités de sortir, j’ai contacté le centre SOS Anor. J’ai alors rencontré le Dr Meunier, Aude Réhault, Fazia Khanifi et leur réseau d’âmes bienveillantes. Rue de Seine, j’ai trouvé un lieu où on me comprenait et où j’ai pu me débarrasser progressivement de la honte qui m’empêchait d’avancer vers la vraie guérison : celle du cœur et de l’esprit. Car l’on n’est pas anorexique et/ou boulimique par essence ou parce qu’on a « chopé » une maladie comme on attrape une grippe.

Mais on fait des crises ou on s’impose un régime de fer parce qu’on a mal à la vie, parce que notre rapport au monde s’est faussé et qu’on s’est perdu dans la bataille. Je suis toujours suivie aujourd’hui, j’ai encore des difficultés avec la nourriture (mais j’entends Nourriture au sens large car j’ai compris que la relation avec mon assiette était le reflet de celle que j’ai avec le monde qui m’entoure) mais j’ai de belles victoires sur lesquelles m’appuyer et je prends aujourd’hui grand plaisir à découvrir quel individu je vais pouvoir être sans ces béquilles tordues que sont les TCA.

Ce préambule pour exposer qu’aujourd’hui le comportemental, même s’il est le plus tangible et le plus handicapant au quotidien, n’est plus ma considération première et qu’en réaction je ne supporte plus qu’on réduise l’anorexie et/ou la boulimie à celui-ci (Il s’entend néanmoins que dans les phases où le pronostic vital se trouve engagé, il est important de replacer l’équilibre alimentaire comme priorité). C’est la voix qu’a commencé à faire entendre SOS ANOR et celle que j’aimerais qui soit entendue par tous.

 

Aussi, lorsqu’est sorti « My Skinny Sister », qui plus est réalisé par une jeune femme ayant souffert de troubles du comportement alimentaire, j’espérais qu’enfin serait présenté au grand public un témoignage sensible, dépassant le voyeurisme habituel envers ces comportements « étranges » et préférant révéler le pourquoi de leur nécessité. J’ai été profondément déçue et le visionnage de ce film m’a été très douloureux. J’avais déjà compris à la lecture du synopsis et après visionnage de la bande annonce que le point de vue adopté ne serait pas celui de la jeune fille atteinte de TCA mais de sa petite sœur. Cinéphile et jeune professionnelle dans le cinéma, je reconnais qu’il est très difficile de mettre la caméra « à l’intérieur » lorsque l’on veut aborder de tels sujets et surtout les rendre accessibles (je ne peux cependant m’empêcher de citer en contre-exemple « Clean, Shaven » de Lodge Kerrigan qui pour moi est un film magistral, sachant user de la merveilleuse palette cinématographique pour représenter la schizophrénie). Ceci dit, j’espérais que le lien fraternel, qui plus est apparemment bienveillant, permettrait d’amener la grande sœur à la confidence et ainsi de donner les éléments de compréhension nécessaires au public sur le pourquoi de ces comportements anormaux.

Or, rien de tout cela… On suit donc la petite Stella, tout en contraste (à mon goût très caricatural) de sa grande sœur. Très rapidement, elle perçoit des comportements étranges chez cette dernière (pas de préambule, la grande sœur est directement définie par ceux-ci) et ce lors de scènes malheureusement très rapides.

L’anorexie n’est donc encore une fois montrée que par ses symptômes alertants que l’on peut trouver sur tous les sites d’information aux familles (ce qui en fait néanmoins un bon film de sensibilisation). Mais rien qui ne nous fasse entendre, pour inviter à la comprendre, la souffrance intérieure de la jeune adolescente. Celle-ci écope d’un rôle bien noir : elle est dure, méchante, et on en vient rapidement à penser « folle » voire « monstrueuse ». Ce mot « MONSTRE » m’est venu plusieurs fois à l’esprit. Car c’est ainsi qu’elle est parfois mise en scène, à grand coup de regards noirs, d’agitation malsaine et de musique bien dramatique. Tout cela vu par les yeux de cette pauvre petite sœur toute mimi de laquelle elle vampirise l’innocence. Tout comme l’espace familial qui, une fois la maladie dénoncée, se voit asphyxié par l’aura malsaine que cette grande sœur dégage. Et toute l’attention des parents sera portée à la malade, laissant notre petite héroïne Stella de côté.

Les larmes me sont donc facilement venues, culpabilité et honte étant bien sévèrement remuées. Comment ne pas retrouver la vieille culpabilité d’en avoir fait baver à ma famille ? Comment ne pas renouer avec ma conviction d’être toxique pour les autres ?  Heureusement, ma connaissance du métier et mon habitude à analyser les films me permettent de prendre de la distance. De reconnaître ce qui relève du discours (point de vue, raccourcis, mise en scène) et ce qui relève du sujet (oui, c’est une maladie qui amène à des comportements anormaux). Mais je suis en colère. En colère qu’on m’ait mise dans cette situation de jugement sévère sur la maladie et surtout qu’on n’ait proposé que ce point de vue au spectateur. Le film serait sous-titré “comment les caprices d’une adolescente peuvent bousiller votre famille” que ça ne serait pas incohérent.

Or, si le film avait eu le goût des larmes ravalées, l’esthétique de la confiture mentale qui nous envahit, le son brouillé de ce monde qui nous entoure et nous semble loin et étranger, peut-être aurions nous pu un peu avancer dans la transmission sur ce qu’est réellement cette maladie.

Sur le coup de l’émotion, j’ai été tentée de sortir du placard pour lancer un grand appel à mes amis cinéastes pour qu’ils s’emparent du sujet. Puis je me suis laissée le temps de digérer. J’ai alors commencé à fouiller dans l’histoire du cinéma et de la télévision pour voir ce qui avait été déjà fait sur le sujet, cherchant le bijou à sortir des archives et qui me motiverait peut-être à organiser des projections-débats pour faire entendre nos voix.

 

Bon, ces séances n’étant pas des plus agréables, je n’ai pour l’instant vu que : (disponibles sur youtube en VO)

The Best Little Girl in the World (1981) qui, s’étalant des dérives vers la maladie jusqu’aux débuts de la guérison amène l’héroïne à exprimer son malaise intérieur (mais assez sporadiquement, il faut guetter les phrases 😉

Le Choix d’une vie / Hunger Point (2003) attention assez difficile à voir, mais le personnage de la sœur est très intéressant, puisque par empathie elle cherche, et ce avec beaucoup de finesse, à comprendre le trouble de sa sœur.

Thin (documentaire, 2006) intéressant, mais le décor étant un centre de soins assez strict pour patientes aux pronostics vitaux engagés, il s’agit plutôt d’une alternance de scènes de répression et de rébellion. Le point de vue n’étant pas clair, c’est à nous d’aller y chercher les quelques bribes d’espoir bien cachées sous des comportements à vifs.

Et vous ? Avez vous vu un film qui vous a frappé par sa pertinence et qui vous aiderait à communiquer sur ce que vous vivez / avez vécu ? Attention, si vous avez aussi l’intention de visionner de nouveaux films sur le sujet, je me permets de dire que ce n’est pas un exercice facile. Ca remue beaucoup. Mais il faut toujours bien garder en tête que c’est un discours, un point de vue qui n’est peut être pas le vôtre. Et surtout, parlez-en…

Sur ce, je vous souhaite à tous espoir, courage et beaucoup d’amour.

Que 2016 vous soit tendre et bienveillante.

 

Bien à vous,

 

SB