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Comment guérir d’anorexie – boulimie ? Un livre pour construire sa trajectoire de soin.

Après l’association La Note Bleue, créer un cabinet de soin spécialisé dans les troubles des conduites alimentaires a été une première étape face aux demandes innombrables ; écrire un livre, pour permettre à ceux qui sont perdus d’être leader de leur soin était une nécessité ; l’explosion des demandes après les confinements COVID en a propulsé l’évidence. Ce sont 15 ans de pratique, d’écoute et d’accompagnement qui m’ont amené à écrire et à partager avec tous ceux que cela pourrait intéresser : patients, famille, proches et soignants.

Ces maladies sont les plus mortelles des maladies psychiatriques. Et je ne parle pas que des personnes dénutries. Il y a aussi beaucoup de personnes à poids normal ou à poids « normalisé », que les vomissements ou le suicide peut emporter. L’anorexie et la boulimie peuvent être invisibles. Mais cela n’enlève pas l’immensité de la souffrance intérieure. Et pourtant trouver des soins relève du parcours du combattant. Il devient urgent de donner les clés essentielles d’un traitement global, afin de permettre aux personnes concernées d’organiser eux-même leur trajectoire, à défaut de structure pluridisciplinaire spécialisée.

Ce livre décrit l’anorexie et la boulimie sous le regard du vécu corporel, psychologique et diététique. Il explique comment faire pour organiser son suivi lorsque l’on n’est pas concerné par une hospitalisation. Il raconte une partie de l’histoire de soin de 3 personnes. Et il reprend plusieurs questionnements récurrents que l’on peut entendre en cabinet ou ailleurs.

Douleurs abdominales et TCA

Le ventre est souvent source de douleur sinon de gêne ou d’inconfort dans les troubles des conduites alimentaires. Or avoir mal n’aide pas à se réconcilier avec son corps, ni à se connecter à ses sensations corporelles, encore moins à changer ses habitudes alimentaires…

À quoi ressemblent ces douleurs et autres sensations désagréables ?

Cela peut ressembler à  des crampes, des ballonnements, des tiraillements, des sensations de “petites bulles”, de brûlures… La gêne peut être issue de la constipation, diarrhée ou de reflux gastrique…

D’où viennent ces troubles et douleurs ? Comment s’explique cette gêne souvent permanente ?

  •  un manque d’énergie qui ralentit le transit
  •  un stress qui induit des sécrétions hormonales ralentissant le transit
  •  des émotions qui se traduisent par des crispations musculaires affectant les organes digestifs
  •  des vomissements répétés conduisant à une inflammation des tissus
  •  toute cause ? (stress, vomissement, malformation . ..) induisant une hypotonie ou une hypertonie musculaire et donc un dysfonctionnement de la porte de l’estomac (le cardia)

Comment y remédier ?

Par des postures de yoga, notamment torsions, des étirements, un massage chinois du ventre, des automassages, de la réflexologie palmaire ou plantaire, des séances de kinésithérapie Maizieres ou d’ostéopathe, de la relaxation, un travail sur les chaînes musculaires…

Pour en savoir un peu plus, une lecture intéressante : Le charme discret de l’intestin – Giulia Enders

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Ci dessous une explication détaillée par le professeur Rigaud

« Le tube digestif est sous contrôle étroit du cerveau.

Les émotions, le stress, la peur, l’anxiété et la dépression modifient le fonctionnement du tube digestif.

Les aliments progressent dans le tube digestif grâce aux « ondes de contractions propagées ». C’est comme une vague qui balaie de haut en bas le tube digestif, depuis l’estomac jusqu’au colon : le muscle se contracte puis se relâche et l’onde contractile se propage vers l’aval. Chaque onde nait au niveau de l’estomac, passe le pylore et se poursuit sur l’intestin grêle, puis passe dans le colon qu’elle balaie sur ses trois quarts environ. Ce sont ces ondes, qui se répètent 2 à 3 fois par minute, qui poussent le contenu du tube digestif (donc les aliments) vers l’extrémité distale du tube digestif.

Chaque onde contractile est précédée et suivie d’une relaxation (figure 1).

Ces ondes sont générées de façon autonome par le tube digestif, mais sont aussi sous contrôle du cerveau.

La dépression ralentit la vidange gastrique et la propagation des aliments, notamment dans le gros intestin.

 L’anxiété chronique, quant à elle, stimule la motricité gastrique et intestinale, jusqu’au colon gauche. En revanche, elle inhibe la motricité rectale et l’évacuation des selles. L’anxiété produit donc soit de la diarrhée, soit une alternance diarrhée-constipation.

Un stress aigu déclenche une puissante onde contractile colique qui peut conduire à une diarrhée.

La dénutrition : L’œsophage, l’estomac, l’intestin grêle et le colon sont pourvus de deux couches musculaires qui assurent la propagation des aliments.

La dénutrition conduit à ce que l’organisme prenne des protéines là où il en trouve, en particulier le tube digestif. La masse musculaire digestive fond. De plus, le muscle a besoin d’énergie pour fonctionner. Comme il n’est pas prioritaire, il en reçoit moins puisque la patiente mange très peu. Ce manque d’énergie induit un dysfonctionnement : les muscles digestifs se contractent moins bien et poussent moins fort le bol alimentaire et, au niveau du colon, les selles.

Ralentissement de la vidange gastrique : La vidange gastrique est ralentie chez au moins un tiers des patients. Ce défaut de vidange est corrigé par la renutrition. Il explique la sensation d’avoir « du mal à digérer », la sensation de plénitude au début du repas suivant, les nausées et la tension sus-ombilicale ressenties.

Diminution de fréquence et de puissance des ondes contractiles sur l’intestin grêle : On observe ceci chez 15-20 % des patients. C’est ça qui explique les ballonnements et l’inconfort après les repas.

Diminution de fréquence et de puissance de la contraction colique : Ceci touche les deux tiers des patients, induisant ballonnements, tension sous-costale et constipation. Les autres mécanismes de la constipation sont :

Une alimentation réduite, des boissons souvent insuffisantes, une alimentation très pauvre en matières grasses : les lipides en effet stimulent les contractions coliques et « lubrifient » les selles.

L’enfer de noël avec des troubles alimentaires

Noël, moment censé être magique, où le temps s’arrête, où les gens se retrouvent et partagent. Pourtant pour les patients souffrant de trouble des conduites alimentaires, cette période est un vrai calvaire, un mélange d’imprévus, de peur de ne pouvoir compenser tous ces aliments interdits, de tentations pouvant provoquer des dérapages, activant le mode bien connu pour certains du « c’est fichu, j’ai craqué ».

Encore une fois, il va falloir trouver la force pour surmonter cette période. On ne se rend pas compte, mais lors de toutes ces occasions qui en général sont source de plaisir, les patients vivent l’inverse à l’intérieur d’eux-mêmes. Et pourtant, ils seront là, à table pour la majorité, à tenter de lutter contre leur maladie, en silence. Résister. Résister à quoi ? A la faim, à la fatigue, aux doutes, aux envies. Passer outre les réflexions qui blessent, qui peuvent provoquer un sentiment de culpabilité mélanger à de la colère : « oui j’ai encore maigri, mais si vous saviez quel enfer c’est. Il ne suffit pas de manger pour en sortir. Rien que d’être ici avec vous c’est déjà une victoire pour moi …»

Au lieu de voir les choses sous l’angle positif et magique de Noël, c’est une montagne de soucis qui s’installe : « je ne sais pas ce qu’il y aura », « je n’ai pas envie d’imposer mon anorexie aux autres », « je n’ai pas envie que ça se voit », « je serai obligée de me faire vomir mais pas sûre de pouvoir le faire », « personne ne le sait », « je ne vais quand même pas amener mon repas », « si je prends de l’alcool je vais avoir envie de tout manger », « les repas n’en finissent pas et je reste assis si longtemps, ça m’angoisse »… Avec tous ces questionnements et doutes, il est difficile de pouvoir être simplement là, disponible pour discuter, tout en mangeant.

Alors comment amener un peu de calme dans cette tempête intérieure ? En mettant en place quelques petites choses et surtout en gardant bien en tête qu’il est impossible, lorsqu’on souffre d’un trouble alimentaire, de manger comme tout le monde…

Quelques pistes :

  • Récupérer un maximum d’information sur le planning des repas : combien de repas, chez qui, avec qui, quel est le menu etc. Plus la personne aura d’informations, plus elle sera rassurée et pourra se projeter.
  • Ensuite, y a-t-il une personne de confiance sur place vers qui se tourner en cas de doute et d’angoisse montante ? Si non, il est intéressant de trouver cette personne ressource, celle qui pourra avec quelques mots nous dire que ça va aller, et que si besoin on peut faire autrement. Peut-être se mettre à côté d’elle à table ?
  • Il va falloir se positionner face à l’entourage : est-ce que les gens sont au courant, et si non, est-ce que j’en parle ou pas ? Le dire peut être parfois difficile au départ, mais permet ensuite d’éviter les fameuses réflexions maladroites au moment du repas « ressers-toi », « tu n’as presque rien mangé », « tu fais encore la difficile » …En gros, ça peut permettre d’avoir un peu la paix ! Et ça, ça peut être sympa 😉
  • En fonction du stade où on la personne en est, il est parfois utile d’amener son repas. Cela paraît fou de ne pas profiter de ce qu’il y a sur place, mais les angoisses vécues peuvent être tellement fortes qu’il est préférable d’avoir sa routine alimentaire. Dans ce cas, l’objectif principal est à revoir, c’est le fait d’être ensemble, et le repas passe au second plan. Il y aura d’autres Noël, le prochain sera plus facile !
  • Noël est une fois par an, sur une courte période. Passer complètement à côté peut être rassurant, mais peut aussi selon les personnes créer de la frustration. Petit à petit, la privation risque d’amener des envies de manger vécues comme incontrôlables. Pour éviter de se retrouver avec cette perte de contrôle, il est possible de s’autoriser des petites choses. Pourquoi l’anorexie aurait le dernier mot tout le temps ? N’est-ce pas normal, à cette période, d’avoir l’envie de goûter quelque chose ? Si je gère 95%, j’ai le droit d’avoir 5% de nouveauté, en le prévoyant à l’avance. Cela peut être par exemple de partager une petite part de bûche, ou bien de goûter une verrine à l’apéritif, s’octroyer un chocolat. N’oublions pas que le plaisir alimentaire est un régulateur émotionnel. Si la culpabilité arrive, il suffit d’observer tout ce qu’il y avait à table, tout ce que les gens ont mangé et bu, pour voir que ce petit plaisir accordé est en fait un contrôle incroyable que peu de personnes sont capables de faire !
  • Activer le mode « dégustation ». Afin d’avoir la sensation de garder le contrôle et sans trop se priver, il est intéressant de déguster : petite quantité, en faisant appel à ses sens. Observer l’aliment avant de le goûter, d’abord le sentir, puis prendre une première bouchée et simplement observer sa texture en bouche, quel goût vient en premier, quand est-ce qu’on en a mangé la dernière fois ? En prenant un peu plus le temps, on se nourrit avec ses autres sens, avec peu de calories !!
  • Et puis, s’il y a des choses prises qui n’étaient pas prévues initialement, cela peut être normal. Rappelons-nous qu’il y a une partie extrêmement dure qui, si on l’écoutait, nous demanderait de ne rien toucher. Ca n’est en aucun cas une perte de contrôle mais bien une adaptation à la situation actuelle. Et que va voir l’entourage ? Que les choses peuvent changer ! Ce partage d’émotions est tellement précieux qu’il peut aussi servir à balayer la culpabilité pour laisser place à l’espoir !
  • Pour finir, il est important pour la personne de respecter là où elle en est et quelles sont ses possibilités. Eviter de se mettre trop en difficultés, redéfinir son objectif qui est de passer ces moments-là du « mieux » possible », amener sa propre alimentation si besoin, en parler ou pas, mais surtout, prendre soin de ses peurs pour pouvoir être présent physiquement mais surtout mentalement disponible afin de partager avec ses proches.

Julie Basset, Diététicienne-Nutritionniste

Les pouvoirs du cerveau dans la guérison d’un TCA

Quelques lignes pour faire le lien entre les soins aux TCA et les pouvoirs de guérison du cerveau évoqués dans l’ouvrage de Norman Doidge

Comment le cerveau fonctionne-t-il ? Qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?

Si une activité est répétée, les liaisons entre neurones qui s’y rapportent s’intensifient et nous rendent plus efficaces alors qu’à l’inverse, cesser de pratiquer une activité sur une période assez longue affaiblit ces connexions neuronales : ce principe ouvre de nombreuses pistes de soin !

Comment soigner à partir de ce principe de neuroplasticité ?

Par exemple, en « détruisant des connexions nuisibles » selon l’expression de N. Doidge, comme celles liées aux comportements boulimiques associés à des émotions particulières.

Ce psychiatre américain prend justement l’exemple d’ «une personne qui éprouve le besoin de manger chaque fois qu’elle se sent perturbée émotionnellement. Parce qu’elle a associé nourriture et diminution de la douleur psychique, il lui faudra apprendre à les dissocier si elle veut se débarrasser de cette habitude*.» Mais là, cette dissociation pourra s’appuyer et même se pérenniser par la neuroplasticité, avec l’affaiblissement progressif des connexions nuisibles et le renforcement des nouvelles connexions positives, celles des comportements qui viennent peu à peu remplacer les crises de boulimie.

Une autre piste de soin pour changer la perception de son corps :

« La carte cérébrale « d’exploitation  » de notre image corporelle est le produit de la combinaison de multiples cartes : les premières cartes biologiques fondées sur les données sensorielles de notre corps et les cartes créées de toutes pièces à partir de notre reflet dans le miroir, d’une jolie photo de nous-même, voire d’une image médicale comme une radiographie… tout ce qui peut être considéré comme une représentation de soi finit par se tracer un chemin dans la carte d’exploitation du corps imaginaire »* A fortiori, toutes les activités corporelles, sports et activités dites de conscience corporelle (yoga, Taï chi chuan…) apportent de multiples informations sensorielles qui contribuent à remodeler cette image de soi mentale et réduire ainsi la distorsion entre perception du corps et réalité.

Ces pistes se retrouvent au cœur du soin en psychomotricité face aux TCA !

En effet, le soin en psychomotricité propose toutes sortes de médiations corporelles qui vont :

– contribuer à nourrir le cerveau en informations sensorielles participant à la représentation du corps et ainsi aider à sortir de la dysmorphophobie**,

– proposer des outils corporels adaptés à chaque personne pour répondre aux émotions autrement que par l’aliment, des exercices qui viennent construire par la répétition de nouveaux circuits cérébraux qui ne soient plus nuisibles…

* Extraits de Guérir grâce à la neuroplasticité

**Trouble de la perception du corps (Cf. https://association-lanotebleue.fr/les-troubles-de-la-perception-du-corps-petite-explication/)

Blanche Augarde-Dollé

Psychomotricienne