Nous décidons ici d’écrire sur le lien entre la dépression et l’anorexie mentale, car nous entendons encore trop souvent que l’anorexie est une forme de dépression!
Il n’y a pas si longtemps, les personnes souffrant d’anorexie mentale étaient soignées par des endocrinologues parce qu’elles n’avaient pas leurs règles. Une large partie de la maladie n’était alors pas prise en charge… Les maladies psychiques ne doivent plus être traitées de façon symptomatique. Aujourd’hui et depuis peu, l’anorexie mentale est considérée comme une maladie en soit et non plus comme étant l’entrée dans autre chose. L’anorexie mentale n’est donc pas le symptôme d’une autre maladie comme l’hystérie, la psychose, un état limite ni même une dépression… Mais il s’agit d’un syndrome à part entière, trouvant son origine dans les mécanismes de l’adolescence. Ce symptôme prend naissance durant l’adolescence mais l’apparition de la symptomatologie franche, ou la prise en compte des symptômes, ou la sortie du déni peut se faire plus tardivement. Ce qui explique un début soit disant tardif de la maladie.
L’anorexie mentale n’est donc pas un symptôme d’une dépression, ni même une dépression. Il n’est pas interdit de penser qu’au décours d’un TCA puisse apparaître une authentique dépression, mais cela est autre chose.
- Une preuve thérapeutique : les antidépresseurs ne sont pas efficaces sur l’anorexie mentale. Quand on guérit une anorexique de sa maladie et qu’elle souffre aussi d’un état dépressif, celui-ci ne reste pas. L’état dépressif est donc soit secondaire à l’anorexie mentale (il est une conséquence) ; soit il n’a rien à voir avec l’anorexie mentale et la dépression s’est installée de manière indépendante.
- Le suicide anorexique ne ressemble en rien aux suicides des personnes souffrant d’une dépression. Il est brutal, il a toujours une cause dans la réalité, après une boulimie par exemple… Il n’y a pas de préméditation, pas forcément de lettre laissée pour les proches, aucun prodrome ou signe avant coureur n’est repérable. C’est pour cela qu’il y a une telle quantité de suicides de personnes souffrant d’anorexie mentale : on ne le voit pas franchement venir.
- Lors des enregistrements polysomnographiques (enregistrement durant le sommeil des variables physiologiques comme la respiration, le rythme cardiaque, les tensions musculaires…), il y a une preuve irréfutable de la dépression ; lorsque l’on pratique ce type d’enregistrement sur des personnes souffrant d’anorexie mentale, il n’y a aucune des caractéristiques de la dépression.
Maintenant, comparons les signes cliniques de la dépression avec ceux de l’anorexie mentale :
Anorexie Mentale | Dépression | |
Âge de déclenchement | À l’adolescence. | Vers 20-25 ans. |
Cycle de l’humeur | Absence. Il n’y a jamais vraiment de changement d’humeur (dans le sens clinique du terme) entre restriction et boulimie. | Présence. |
Restriction | La restriction est un mode d’être au monde, une façon de contrôler ce qui est incontrôlable. Quelque part il y a un intérêt de ne pas manger. (Se) Forcer à manger ne sert à rien, les mécanismes qui sous tendent la restriction sont profonds et ont une utilité dans le fonctionnement psychique de la personne. | La sensation de faim disparaît et la restriction devient un abandon : il y a un désintérêt pour tout, notamment pour le fait de s’alimenter. Forcer la personne à manger devient possible car ne va pas mettre en danger l’équilibre psychique de celle-ci. |
Boulimie | La boulimie est la conséquence de la restriction. Le corps et l’esprit ne tiennent plus dans ce mécanisme qui utilise trop d’énergie psychique et physiologique, et laisse place à des compulsions qui engendrent ensuite honte et culpabilité. La restriction engendre une boulimie, et une boulimie engendre une restriction. | La boulimie peut advenir. Tout comme l’anorexie, il s’agit d’une sorte d’abandon. La boulimie est une tentative de régulation de la souffrance et des affects dépressifs. Mais elle ne s’accompagne pas d’une honte ou d’une culpabilité, et la restriction par compensation pour contrôler l’aspect corporel ne s’applique pas non plus. |
Amaigrissement | Il s’agit d’une perte de poids très importante en très peu de temps. | L’amaigrissement est moins important, moins fulgurant. |
Trouble de l’image corporelle | Présence. Ce trouble est constitutif de la maladie. Il est aussi parfois à l’origine des rechutes. | Absence. On a rarement vu une personne souffrant de dépression avoir un trouble de l’image corporelle. |
Trouble cognitif | Absence. Les personnes souffrant d’anorexie mentale sont douées professionnellement ou scolairement. Lorsqu’elle ne le sont plus, c’est la conséquence de la dénutrition ou de la durée dans la maladie. | Présence. Il s’agit d’un des symptômes. |
Tristesse et perte de l’élan vitale | La tristesse n’est pas constante et est la conséquence de ce qui est vécu au quotidien comme souffrance liée à la boulimie, au rejet et l’incompréhension des proches… L’élan vitale est maintenue, avec une envie de vivre très importante qui parfois disparaît lorsque le désespoir de s’en sortir apparaît (dû à l’incompréhension de la maladie et de la façon d’en guérir, le refus et le rejet d’accès au soin par les praticiens « censé savoir et aider »…) | Tristesse constante, avec perte de l’élan vitale. L’envie de vivre est diminuée et la motivation ou l’énergie pour bouger disparaît. |
Processus psychiques | Tachypsychie. C’est à dire une accélération anormale des processus psychiques, qui génère une certaine excitation. | Bradypsychie. C’est à dire un ralentissement des processus psychiques. |
Dr Alain Meunier (Psychiatre – Psychanalyste)
Aude Réhault (Psychologue Clinicienne – Psychothérapeute)