Trouble alimentaire et TCA – réaction à l’article du Monde

Réaction par rapport à l’article du Monde, écrit par Eric Nunès, édité le 17/01/19: « J’ai voulu montrer qu’on peut sortir de l’anorexie » : quand Instagram aide à soigner les troubles alimentaires

https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/01/17/des-etudiantes-soignent-leurs-troubles-alimentaires-grace-a-instagram_5410657_4401467.html

 

Une personne souffrant d’un trouble alimentaire a eu la bonne idée de nous partager cet article pour que nous réagissions. Merci! Revenons sur l’article présentant les réseaux sociaux comme moyen de guérison pour un trouble du comportement alimentaire.

 

  • Points positifs de l’article: Un réseau donnant motivation et soutien

Dans l’article, le réseau social est présenté comme un bon levier de motivation. La personne rend des comptes à une communauté et des réussites sont valorisées par le groupe. Elle entre alors dans un cercle vertueux: elle agit plus, le poste, reçoit plus de valorisation ce qui lui permet d’avancer dans son parcours de guérison.

Si la motivation est une ressource nécessaire pour se sortir du trouble, elle est toutefois mise à mal par l’ambivalence. En effet l’anor mind* est constitutif du trouble du comportement alimentaire et est souvent décrit par les patients comme une “petite voix” qui dicte les conduites pathologiques et freine les avancées. Dans ce cadre, un levier de motivation est bon à prendre et si le réseau social y contribue pour certain pourquoi ne pas l’intégrer dans leur chemin de guérison?

Le soutien d’une communauté est en effet un appuis nécessaire. Le groupe permet d’être reconnu, entendu et compris dans sa souffrance. C’est pourquoi, dans de nombreuses structures de soins, des groupes de paroles sont proposés. Ceux-ci sont accompagnés d’un soignant généralement un(e) psychologue. Cet accompagnement par un professionnel de santé permet de garder les objectifs du groupe: laisser une place d’expression à ceux qui le souhaitent, permettre une écoute des parcours diverses, un partage des « pratiques utiles et aidantes », faciliter la rencontre avec l’autre et la sortie des mécanismes enfermants des troubles alimentaires… On peut alors se questionner sur la différence entre l’échange en ligne à travers les réseaux sociaux et la rencontre en « réel ».

Un point qui semble positif est la disponibilité constante de ces groupes. Elle fait penser au système de parrain chez les personnes souffrant d’addictions dans lequel on retrouve ce pair aidant disponible. Notons cependant que dans ce système, pour devenir parrain, il faut être stabilisé, c’est à dire être en rémission par rapport au trouble. Or, dans le réseau social comment savoir où en est l’autre?

 

  • Points négatifs :

 

  • attention aux groupes néfastes.

En fin d’article il est mentionné les risques d’orthorexie que peut apporter ces réseaux. Et en effet, le réseau peut inciter à aller vers une autre forme de contrôle alimentaire et enfermer dans un autre trouble. Ceci témoigne de l’importance de la dynamique de groupe qui est très fragile. En effet, sans guidance par un professionnel le groupe peut s’éloigner de ses objectifs. Attention également à la validité des conseils nutritionnels qui ne sont pas donnés par un professionnel tel un diététicien-nutritionniste ou un médecin nutritionniste. Ces conseils doivent être individualisés selon la personne et son évolution dans la maladie.

Rappelons par ailleurs que les réseaux sociaux ont aussi donné lieu à des challenges d’amaigrissement: des photos de clavicules saillantes, des corps dénutris valorisés… Il existe des groupes de réseaux sociaux où l’anor mind a le contrôle et valorise l’amaigrissement. Les images et injonctions de ces groupes renforcent la culpabilité de ne pas réussir à se restreindre suffisamment, renforçant l’anor mind et l’ambivalence.

  • une minimisation du trouble.

Dans cet article les troubles du comportement alimentaire ne sont décrits que par l’aspect nutritionnel et sportif. Ce ne sont qu’une partie des symptômes. Ce trouble est une altération globale. Il porte une atteinte à soi, son identité, ses valeurs, son fonctionnement, son rapport au monde, aux autres… Le trouble a un impact sur l’expression des émotions, le rapport aux corps, son image, aux sensations. Il a un impact sur la sphère sociale: les rapports ont en effet changé depuis le trouble. Certains ont besoin de comprendre d’où vient ce trouble, de comprendre ses propres mécanismes de défense et d’expression d’un mal-être.

  • L’absence d’information médicale.

Son rebond, la jeune sportive le doit partiellement à son compte « Insta »”.

C’est le seul moment où on pourrait distinguer une trajectoire de soin. C’est vraiment dommage que ça ne soit pas mentionné clairement. Un article qui traite d’un trouble aussi grave devrait inclure un message d’information médicale: la trajectoire de soin est une composante importante de la guérison. Mais la grande difficulté actuelle est de trouver des structures de soin accessibles, spécialisées, partout en France. Dans ce sens, les réseaux sociaux tentent peut-être de pallier ce vide.

Le soin est la rencontre entre un patient, expert de son trouble, de son vécu, et un soignant, expert dans la clinique et d’une approche thérapeutique. Ces professionnels de santé ont étudié ce trouble, connaissent les écueils, des facteurs de rechutes, des leviers de motivation. La trajectoire qui mène à la guérison est pluridisciplinaire: corporelle, diététique et psychologique.

  • En conclusion

Rejoindre une communauté est d’une grande aide pour guérir du trouble. Il est indispensable d’y intégrer un travail psychologique, diététique et corporel. S’apercevoir que d’autres souffrent permet d’aider à sortir de l’isolement ou de la honte. Chaque parcours dans la maladie est personnel et demande une approche sur mesure. Cet article amène donc un outil qui doit être utilisé avec vigilance, mais qui ne peut malheureusement pas se substituer à un suivi pluridisciplinaire, au risque de favoriser la chronicisation du trouble ou même l’errance thérapeutique.

 

*l’anor mind? Mental anorexique en français: Nous avons écrit un article dessus. Vous pouvez le voir sur http://association-lanotebleue.fr/mental-anorexique/

 

Je joins la réaction de Sophie qui est suivi pour son trouble et qui nous a proposé une réaction sur l’article :

« Regard croisé

Un certain regard sur cet article paru dans le monde dont l’absence de mise en perspective a soulevé en moi des réactions que je souhaite partager :

Le premier sentiment qui m’a traversé est le désabusement, puis dans un second temps, des sentiments de crainte et d’interrogation….

Désabusement de voir une nouvelle fois les TCA cantonnés à leur plus simple expression «manger» dans la négation totale de la complexité de ces troubles…En effet, l’article laisse à penser que le simple partage de photos nous permettrait, à nous qui souffrons de ces troubles, de nous en libérer et de guérir….

Désabusement et déception de voir présenter Instagram et ses  « instagramers »   comme un supplétif aux praticiens : psychiatres, psychologues, psychomotriciens, nutritionnistes, médecins … alors que le parcours de soin est pour beaucoup d’entre nous un vrai parcours du combattant

Quelles conséquences alors qu’en France le manque de formation, le manque de structures d’accompagnement et la quasi absence de prise en charge des TCA sont criants!? Et d’autant plus alors que s’engage une réflexion sur la problématique de la prise en charge psychiatrique.

Interrogations à la lecture de ses témoignages « d’anorexiques guéries » de leurs troubles. Au-delà du fait que je me demande ce qui fonde ce diagnostic car après tout c’est quoi guérir d’un TCA. N’y aurait-t-il pas autant de formes de guérisons qu’il a de personnes atteintes de ces troubles ? Est-on vraiment guéri alors que l’on ressent le besoin de prendre en photos ses repas, se prendre en photos dans une pratique sportive intense, exercer un contrôle de son image dans une esthétique maîtrisée de son image ? Ne peut-on voir au travers de ces témoignages à priori libérés les signes de la maladie dans son expression la plus pernicieuse? Aussi, ces témoignages ne sont-ils pas l’expression du déni de la maladie ? Si tel était le cas, le risque ne serait-il pas de fédérer une communauté autour de ces troubles ? 

Pour conclure, même si je suis convaincue qu’il y a autant de chemins de guérison qu’il y a de personnes atteintes de troubles TCA, je ne connais que trop bien leurs revers… C’est pour ces raisons que je ne peux qu’encourager chacun(e) à s’entourer de praticiens spécialisés et surtout à rester convaincu(e) que l’on peut guérir !”

Elisa Bessellere, Psychomotricienne

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